Le 27 juin, alors que certains dansaient sur des rythmes techno à la Gay Pride, et que d'autres partaient voir IAM au Zénith, je me suis rendue à un concert gratuit à la Maison de la Radio. Ma tante, qui parcourt les programmes du Groupe de Recherches Musicales de l'Institut National de l'Audiovisuel dans son temps libre, m'a proposé ce concert. Nous ne connaissions rien du compositeur, juste le titre nous avait bien amusé: « Tragédie de la Fraise » et « Lamentations de la Molaire Frustrée ». J'ai bien proposé à des amis de m'accompagner, mais bizarrement, quand on annonce un concert de musique contemporaine, on vous regarde différemment.
A la lecture du programme, le texte est un extrait de la pièce "Fuori dai Denti" de Tiziano Scarpa traduit en français. On commence par la Fraise: deux types en blouse entre sur scène, lumière frontale, l'un à la clarinette basse, l'autre au saxophone baryton. Ils ont l'air de lire une partition, mais on n'entend que des sons distordus, des sortes de couacs... Eric Tremolières, ténor, rentre et lit le texte. Enfin, il le lit pas, mais il part dans les aigus, descends dans les graves, joue avec l'intonation de sa voix... C'est assez bizarre – comme une parodie de musique contemporaine.
On passe à la molaire: Nichola Isherwood, basse baryton, rentre. On nous a prévenu qu'il était malade, mais qu'il allait interpréter ce morceau contre l'avis de son médecin. Je me demande ce que ça aurait rendu s'il avait été en pleine forme!! C'était époustouflant! Il nous a montré une amplitude de voix hallucinante et avec une puissance! D'un coup on comprend le concept de la première partie (la fameuse fraise).
Pendant l’entracte, je me suis demandé si je restai ou pas, un concert m’attendait dans un squat; et à la lecture du programme la deuxième partie était une obscure œuvre de Mauricio Kagel: "Phonophonie, quatre mélodrames pour voix et autres sources sonores…" Une sorte de deuil du chanteur d’opéra… ça promettait d’être gai.
Au final, j’ai bien fait de rester. C’était le même basse-baryton que pour la molaire, Nicholas Isherwood. Il y avait un jeu de scène fantastique avec une webcam et un écran. La première scène, face à la webcam, il faisait un monologue avec seulement quelques mots allemand "ach", "doch", "nein"… Dans l’obscurité, à la lumière de la webcam, sa tête ressortait en bleu. Après un silence solennel, un enfant a commencé à rire en voyant les mimiques exagérées du chanteur qui baillait, s’extasiait, ou prenait un air surpris. C’est là que l’assistance s’est détendue. Le chanteur a commencé à jouer avec la caméra, faisant sa tête flottante se refléter à l’infini en chœur avec ses modulations vocales, puis il s’est déplacé dans l’assistance.
Le monologue s’est ensuite transformé en dialogue entre le chanteur et une vidéo de lui-même. De même, à partir de sons, qui sont des mots allemands, il a créé une discussion complète, laissant libre l'interprétation au spectateur. Après avoir joué avec une boîte à son, dont le sens m'a échappé, le quatrième mélodrame montrait le chanteur en présentation constante et à la merci du metteur en scène et de ses élucubrations.
Nous avons été impressionnés par ces jeux autour de quelques sons, par cette mise en scène basée sur trois fois rien et par la puissance et l’amplitude de sa voix.